Séminaire d’études “La médecine est-elle un art ?”
Témoignage de Annick
Voilà deux semaines que nous sommes revenus du Burkina Faso et ça semble déjà si loin car si différent de ce que nous vivons ici et en même temps si présent: Pas un jour sans y penser. Les petits papiers écrits le dernier jour révélent la multitude de sentiments et d’émotions provoqués par ce voyage, chacun des mots aurait pu être le nôtre je crois, peuple de contrastes et rires, danse, chaleur, vie, misère aussi et plein d’autres.
J’ai relu mes notes où j’avais juste résumé pour revivre dans ma mémoire ces instants et j’ai été surprise de voir à quel point on est rentré rapidement dans le vif du sujet avec des exercices aussi surprenants que déstabilisants ou “intimes”. Je pensais les avoir fait plus loin dans le séjour, par exemple l’exercice de la voix avec Mireille: Au sol puis on se lève en ouvrant la bouche de plus en plus pour une plainte venant de loin. Aussi notre visite chez le guérisseur dès J2. Le ton est donné, on ne pense plus à nos cabinets médicaux!
Cette visite chez le guérisseur a été une opportunité unique de pénétrer dans ce village construit autour de ce personnage. Attendre le guérisseur pendant 4 longues heures jusqu’à 2h du matin, nous sommes assis sur des fauteuils blancs de salon de jardin alors que tous, innombrables, attendent sur le sol. Des ânes indifférents et tolérés se baladent sur l’emplacement sacré en fouillant les déchets rares car maintes fois triturés, qui pourraient s’y trouver, puis le voilà tout de rose vêtu sur sa moto. Tout se réveille, sans bruit, juste une onde de mouvements. Les nattes sont repliées, il faut faire de la place. Les problèmes de famille sont réglés en premier, c’est lui qui tranche, on ne discute pas. Au pas de course les affaires sont expédiées. Un grand garçon réellement souffrant est amené sur le sol par ses proches, on ne s’occupera pas de lui, c’est comme ça, le guérisseur n’y peut rien c’est le génie qui lui dit et qu’il inspire. Le malade reviendra sans doute le lendemain, ses parents ne disent rien. En 1h et tout est fini, dans l’intervalle le guérisseur a sommeillé un peu dans son fauteuil en écoutant les histoires de famille répétées à chaque fois par son bras droit, il semblerait qu’il avait eu une rude journée et qu’il soit venu pour honorer notre visite. Mais ensuite comme pour se réveiller, il se déshabille, torse nu, dans une démonstration spectaculaire de ses pouvoirs. Juché sur les épaules du malade assis au sol qui se relèvera et marchera à nouveau. Scène théâtrale que nous avons, l’émotion passée, pu reproduire ensemble à la fin du séjour dans l’atelier théâtre. Catharsis intéressant, je ne sais pas comment ont vécu cela nous amis burkinabés Hamidou, Aristide, Ousseni? Je ne sais pas si on ne touchait pas trop à leur image du sacré. Le lendemain matin, après une nuit sympathique où l’on a tous superbement bien dormi, sauf Bernard je crois, qui partageait la natte de Pierre, agité, nous avons pu assister à un véritable rituel afin de libérer les personnes possédées des esprits maléfiques ou des sorts jetés sur elle. Une ligne de branches feuillues, rares alentour, forment une ligne sur le sol sur 50 mètres environ. On jette en l’air des gerbes lesteés d’abord du même côté de la ligne puis le temps passant ,de l’autre côté, pendant que les malades s’élancent à plusieurs reprises pour s’allonger au sol puis se relever, se remettre en ligne des dizaines de fois. Cela sous le soleil ardent, sans boire, jusqu’à épuisement peut-être… Puis le guérisseur arrive, rose, jovial, ovationné. Il réglera devant nous les cas de ces êtres perturbés: Jeune fille mutique refusant le mari qui l’avait choisie ou au contraire, cette femme agitée, menaçante, en tous cas semblant revendicatrice. Le guérisseur choisira là aussi, de se déshabiller le haut allant jusqu’à lui cracher de l’eau alors qu’elle est au sol sans doute exténuée par son agitation. Cette scène m’a un peu perturbée… puis il va s’éloigner un peu et taper des mains dans un rapport d’égal à égal, avec Laura, dans un aparté très surprenant. Ca passe, beaucoup rient, ils semblent encore mieux nous accepter parmi eux. Un type très charismatique ce guerisseur, très habile je trouve. Du théâtre? Je me rends compte que nous aussi nous avons notre théâtre bien sur, le curé lorsqu’il asperge d’eau le nourrisson pour le bénir, lorsqu’il balance son encensoir au-dessus du buis ect…Après tout…
Trois jours après nous visitons un marabout, frère de case d’Ousseni. Il y a de la distance et du respect entre eux. Là aussi nous sommes superbement accueillis. J’ai trouvé très insolite de constater ces initiatives individuelles, personnelles j’ai cru comprendre, autour de l’éducation et de la religion, en l’occurrence l’ Islam ici. Quel rôle joue le pouvoir politique du pays? Je m’interroge et perds mes repères habituels, à explorer…
Nous poursuivons la route vers Bobo-Dioulasso avec une étape obligée pour un changement de bus, mémorable et choquant la première fois: Toute une vie s’ est organisée pour vendre de l’eau, des victuailles, des galettes de sésame riches en vitamines A, B, C, D …jusqu’à Z! De ce commerce, surtout par les femmes et les enfants, semble dépendre leur survie. Oppressant…
Bobo est une ville toute différente avec un énorme marché où on est rapidement remarqués et escortés, un peu trop et jusqu’à notre hôtel, pour nous vendre un tas de choses. C’est pas possible, j’aurais acheté davantage de souvenirs je pense, si on n’était pas autant repérés et limites agressés. Bon Aristide et Hamidou ont bien fait leur boulot mais considérés comme des traites par leurs congénères, insultés parfois, dur…
Bobo était sous le signe de la danse avec Ousseni dans un centre culturel très sympa, aéré, décoré. François nous restaurait délicieusement. Pendant que les repas se faisaient attendre, on a eu la visite du tailleur d’à côté à la mémoire prodigieuse, retenait le tissu associé au modèle, associé à la personne, associé aux mesures, une dizaine de chocos en 48 heures, superbement taillés, sans retouche!
Aussi la visite de percussionnistes qui nous incitent à nous essayer au rap. J’y ai échappé mais ça l’aurait peut-être fait, l’ambiance était tellement bonhomme et bienveillante.
Bobo a été aussi l’occasion de cerner le monde médical, médecins méritants, fatigués car en sous-effectif, sans doute frustrés par le manque de moyens. Les malades sont tout simplement exemplaires, patients, silencieux, respectueux. Je pense que l’ignorance du patient donne le pouvoir au médecin, seul le médecin mesure son impuissance peut-être, mais pas seulement, je pense que culturellement le respect et la considération pour l’autre sont présents ici. Pas d’eau courante, pas de draps sur les lits (2 lessiveuses dont une en panne), 2 salles de blocs dont l’une est inopérante et l’autre inutilisée, curieux, le programme devrait être surchargé sur cette salle, grand dénuement.
J’ai eu la chance d’assister un médecin à sa consultation. Plusieurs cas d’hypertension artérielle où le patient revenait alors qu’il n’avait pris son traitement que 1 mois car plus de comprimé, ils doivent les acheter, et reviennent car ne se senten pas bien à nouveau ou en décompensation, 3 consultations sur 4. Donc niveau d’information du public dérisoire sans doute. Sans relâche et avec la même patience, le médecin sans arrêt re explique, travail de fourmi. Le traitement est immuable: ramipril plus ou moins nifédipine. Des visiteuses médicales se sont risquées pour vanter les bénéfices des statines (Tahor) en prévention primaire. Sourire narquois du médecin, tellement de choses à mettre en place avant cela, ne pas compliquer les choses.
Il y aurait des tas d’autres choses à raconter des comportements observés, des odeurs (acacias?, des repas, l’odeur de toutes ces motos chinoises), des bruits…
Je n’ai pas parlé de la rencontre avec Ildevert, artiste connu au Burkina, qui nous a généreusement invité le lendemain de notre arrivée et nous a fait quelques ateliers théâtre avec un éternel sourire et enthousiasme, les fabuleux contes de François toujours magnifiquement habillé, à notre arrivée, pour nous mettre dans l’ambiance, extra. La musique de Domba en direct SVP pour notre danse avec Ousseni, les repas d’ Aïcha à Ouaga, excellents, sans oublier la recette avec le bouc du guérisseur aux pommes de terre, les coupures d’eau pour nous rappeler à l’ordre, ici il faut oublier son confort, en fait nous étions gâtés en comparaison, la course dans la rivière dans le parc et l’histoire de Marie-Christine comme un petit cadeau, la soirée anniversaire de Mireille avec les voisins invités dans la rue, le sport bar et les rires (non moqueurs) en nous voyant danser, on entendait “c’est pas ça, c’est pas ça”, mais en fait ils disaient “le bassin, le bassin”!
Le détour au village pour le bal poussière aurait mérité un long développement tellement cette immersion m’a marquée, comme beaucoup je crois. C’est formidable de nous avoir fait vivre cela avec un accès compliqué en taxi brousse puis moto, tellement unique. Je crois que nous n’avons pas été à la hauteur de leur accueil malheureusement et ça c’est bien vu à la fin, pas facile qu’ils nous donnent la route, on était tellement épuisés en arrivant.
En conclusion un voyage magnifique et mémorable, riche d’humanité, de développement de soi et donc pour nos patients aussi. Ces derniers ont plutôt deschanté dans un premier temps pour certains, comment supporter davantage de ma part l’arrogance, l’incivisme voire l’irrespect de beaucoup d’entre eux.
Une grande reconnaissance à Nathalie et à tous ceux qu’elle a réuni autour d’elle, ça a dû être beaucoup de travail… Merci vraiment.